Brumes.

        

               La voie maritime est barrée par la brume. Tenace, poisseuse. La houle, derrière l'enrochement taciturne retient le navire prisonnier. Il faut donc rester. Rester, partir, se dit-il, deux manières d'être là. Si naviguer est impossible, marcher, peut-être. Aveugle, il se lance sur un chemin de sable bordé de prudentes barrières. Longeant les chênes verts, il se rappelle qu'à cet endroit, il y a plus de vingt ans, il a croisé la route étonnée d'un jeune cerf. Ils s'étaient dévisagés, le coeur palpitant de surprise, l'animal avait disparu aussitôt dans les fougères ne laissant qu'une odeur forte d'urine comme preuve de son passage. Il aurait aimé des retrouvailles, peut-être avec le fils du cerf. S'arrêter un instant. Respirer profondément, comme un  nourrisson qui ne sait rien du monde. Recevoir à pleine rétine les rigoles d'eau salée qui rejoignent l'océan comme des larmes coulent sur des joues rondes, les galets ordonnés par les courants, le vacarme sans fin des rouleaux qui s'écroulent dans la brume. S'arrêter un instant devant une pierre noire, luisante, géométrique cousine de l'obsidienne, incidemment posée sur un calcaire veiné de sang. Parfaite composition que la prochaine marée remettra sur le tapis comme on jouerait  aux dés pour des aveugles. Puis d'autres pierres soulevées, face à des flaques-miroirs. Est-ce possible de ne pas penser ? Ne pas chercher de sens. Au loin, des silhouettes de cavaliers. Il sont trois. L'un tient un javelot ou une lance. Il dessine sur le sable des formes géométriques, abstraites. Un instant, il est persuadé que leurs regards se tournent vers lui. Peut-être rêve-t-il. Encore. S'agit-il vraiment de cavaliers ? Les sabots de chevaux ne soulèvent pas d'écume lorsqu'ils galopent dans les flaques. Peut-être sont-ils venus le chercher. Non, pas aujourd'hui, pas déjà. Ils se tournent vers la croupe de la dune pour disparaître dans les pins maritimes.