Fugue en Ré.
Jusque là, elle n'a pas trop changé. Juste le brise-lames en plus. Au fond, les vestiges de la cathédrale, ça te va plutôt bien. On t'a dit qu'elle a changé. Mais on n'osait pas trop te dire. Plus chic, plus propre. Faut voir... Tu te doutes bien que quelque chose cloche quand tu croises ces peigne-cul sur leur voilier, tous vêtus de blanc. Comme si les marins s'habillaient en blanc. Faux bruns, fausses blondes, tout y est. En fait, elle s'est refait la façade. Elle ne fréquente plus les mêmes. Elle fait sa parisienne. Seule la lumière ressemble à ce que tu as connu. Le vacarme te saisit. Et l'agitation. Un horde de reflets se tortille, s'imite, s'agglutine pour manger la même glace au même endroit à la même heure. On se pose en rangs sur des bancs semblables, lèche la glace, suce le cornet puis se relèche les doigts bruyamment. C'est chemise blanche, polo chic et pantalon de lin pour tout le monde. On peut se dandiner en rose tyrien si l'on a moins de quinze ans. Histoire de... T'as pas intérêt d'avoir des soucis ou du moins d'en avoir l'air. Tout fait semblant. Même les poissons font semblant de s'intéresser à ces reflets qu'ils dévorent à pleine bouche créant de curieux tourbillons que tu t'empresseras d'oublier. Tu te souviens déjà à peine des navigations de nuit, d'avant le pont, des quais bordés de chalutiers, des rues désertes dans les rafales et les averses, du seul bistrot d'ouvert à vingt heures, qui sentait le poisson et la bière.